En pleine crise sanitaire du COVID-19, la communication gouvernementale autour de la Chloroquine s’est fracassée sur l’émotion collective.
Les FakeNews ont envahi notre quotidien. Elles sont le cancer de l’information. Elles s’affichent d’ailleurs souvent comme de la “RÉ-information”. Avec l’indécence qui les caractérisent structurellement, leur déclinaison scientifique, les « FakeMed » (Fake Médecines) se sont démultipliées ces dernières semaines.
Comment accepter que soit promue une médecine non basée sur des preuves scientifiques ? C’est tout le défi auquel a été confrontée, ces derniers jours, la communication gouvernementale (par ailleurs très maladroite depuis le début de l’éclatement de cette crise sanitaire).
Comme toutes les crises, cette crise sanitaire alimente les thèses les plus malveillantes des complotistes de tout ordre. C’est ainsi que le talentueux Professeur Didier Raoult a été désigné “héros national” par toute la fachosphère et réacosphère, trouvant là, une nouvelle occasion de cracher de manière décomplexée leur antisémitisme crasse contre l’ex-Ministre de la Santé Agnès Buzyn et son mari, le Professeur Yves Lévy.
La chloroquine restera sans doute d’abord, dans les mémoires collectives, le nom d’une émotion populaire qui a défrayé la chronique en déstabilisant la communication des autorités sanitaires malmenées par un dangereux populisme scientifique et médical.
Sur les réseaux sociaux, l’instrumentalisation de l’émotion née des tests menés autour de cet antipaludique ne fait sans doute que commencer. Mais déjà, elle a annihilé sur son passage les stratégies d’information publique des autorités sanitaires et a neutralisé les discours politiques mis en défaut par leurs contradictions successives apparentes alors qu’ils tentaient de s’adapter à la menace combattue.
Les études d’opinion nous disent, année après année, que le sentiment que “on ne nous dit pas toute la vérité” face aux crises sanitaires est largement partagé par les Français. Ils jugent, dans le même temps, l’information sanitaire délivrée, majoritairement trop complexe et toujours trop tardive.
Les communicants de crise le savent, le public qui estime toujours trop attendre, fait d’abord confiance aux chercheurs et aux organisations internationales comme l’OMS pour leur dire la “vérité” sur les crises sanitaires, puis aux associations et aux journalistes. Les hommes politiques ne sont pas jugés crédibles sur le sujet sanitaire.
La communication peut-elle surmonter l’émotion ?
Dés lors, comment parler aux Français de la chloroquine sinon en s’en remettant à la parole du scientifique ? Mais que faire quand une stratégie personnelle de promotion scientifique se fait sur le dos des autorités sanitaires en misant sur l’émotion de l’opinion publique ?
Alors que nous sommes plongés dans une ambiance de confinement anxiogène, l’émotion populaire est en train de prendre le pas, à la fois sur la raison scientifique et sur le droit.
Face au drame sanitaire provoqué par le Coronavirus COVID-19, le Professeur Didier Raoult, avec quelques collègues, a annoncé dans un communiqué de presse accélérer les tests et le traitement à la chloroquine en dehors du cadre légal de son AMM (l’autorisation de mise sur le marché) générant un espoir touchant chez les malades et leurs proches. Une décision condamnée à la fois par l’OMS et par le Haut Conseil de Santé en dehors des formes graves alors que les critiques scientifiques fusent sur la méthodologie adoptée par le Professeur Didier Raoult pour mener ces tests controversés.
Mais, déjà, à Marseille de nombreuses personnes se ruaient dans des files d’attentes à perte de vue vers les équipes du Professeur Didier Raoult pour se faire tester et soigner, s’exposant, par là-même, gravement en ne respectant pas les consignes de distanciation sociale.
Face à cette figure du héros au look transgressif autour de laquelle on ne peut avoir envie que de s’unir, le pouvoir politique a enchaîné les maladresses dans la gestion de sa communication de crise sanitaire, à commencer par la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye.
Chacun comprend évidemment à quel point il peut être frustrant d’être malade sans avoir d’espoir de traitement efficace, assistant impuissant au décompte morbide des autorités se livrant à un exercice régulier de transparence salutaire. On ne sait sans doute alors plus à quel saint se vouer pour espérer continuer à vivre ou protéger ses proches.
Cette émotion est le cauchemar des experts en communication de crise.
Dans la plupart des comportements observés et des messages échangés sur les réseaux sociaux, il n’y a que peu de raison scientifique basée sur le test du Professeur Didier Raoult. Il y a en revanche beaucoup d’inquiétude légitime et émouvante pour soi et ses proches malades. De cette angoisse naît beaucoup de compulsion au point d’ignorer tout questionnement sur les éventuels effets secondaires du protocole proposée, au point d’ignorer ses biais méthodologiques ou la réalité de l’ampleur des résultats du test mené. Au total, chacun semble préférer espérer, aveuglé, la main sur le cœur en ignorant beaucoup de dangers.
Marqués par de nombreux scandales sanitaires historiques comme l’affaire du sang contaminé, la rigueur de la communication publique régalienne exige évidemment une adéquation entre les bénéfices et les risques mais aussi une cohérence entre les causes que l’on choisit de soutenir et l’engagement politique attendu par la société dans la lutte contre ce virus. Sommés de prendre leurs responsabilités, les responsables politiques au Gouvernement ont déjà facilité l’étude du Professeur Didier Raoult. Pourtant, déjà, le soupçon pointe et les accusations d’entrave se multiplient.
Assouplir la règle permettant le prolongement de l’étude en ces temps de crise sanitaire peut s’entendre. A rhétorique guerrière présidentielle, on peut répondre mobilisation scientifique de guerre. Mais, cela ne s’entend plus, si c’est parce que l’émotion prend le pas sur la rationalité. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est changer les règles fondamentales de protection et de vigilance sanitaire et les obligations d’information liées à ces études scientifiques. Comment accepter que, sous prétexte que l’on est en période de crise sanitaire, il faille changer les standards minimum admis habituellement ? Il y a une impérieuse nécessité de se protéger collectivement d’un scandale sanitaire qui succéderait au coronavirus.
Sur fond de complot, la communication publique a également été écornée par une succession d’hommes et de femmes politiques mettant en avant leur cas personnel de guérison supposée érigeant la stratégie médiatique en vérité scientifique. En quoi Christian Estrosi, brillant champion de Moto, est-il légitime à autoriser la prescription de chloroquine dans un CHU par exemple ? Du point de vue de l’information, la confusion est générale.
Face à nos peurs, il peut être tentant de se rallier à un gourou, à ceux qui prétendent détenir le remède miracle, par exemple dans une vidéo d’autopromotion auprès d’étudiants. Dans une crise, collectivement pris sous le joug de l’émotion, l’image messianique rassure toujours, faute d’espoir alternatif.
L’émotion devrait elle pour autant primer sur la science et guider la recherche médicale ? A l’heure où des millions de vies sont en jeu, à l’heure où les héros en blouse blanche de tout le pays se donnent corps et âmes, la mobilisation de nos gouvernants doit être totale mais pas sans conscience. Leur communication publique doit se réinventer pour apprendre à canaliser nos peurs et à apaiser les émotions collectives en période de crise.
Le responsable politique doit, en ces temps de crise sanitaire, savoir conserver une communication rationnelle, ce qui n’est jamais apprécié par l’opinion publique, dans ce genre de situation où règne l’émotion.
Ne soyons pas que des êtres de chair et de cœur. Soyons aussi doués de conscience pour qu’à la tyrannie de l’actualité ne s’ajoute pas celle de l’émotion collective qui appelle, par ailleurs, une refonte pressante des stratégies d’information publique et de communication politique.
La connaissance nous entoure. Chacun a l’illusion d’être parfaitement informé. Faisons confiance à nos talents scientifiques.
Raisonnons-nous.